Quelques réflexions sur les législatives en Ariège et ailleurs,
ou le fantôme de Manuel Valls
La politique racontée aux enfants
Carole Delga est venue en Ariège soutenir deux candidats et nous parler d'une époque révolue, dont elle est visiblement nostalgique. L'époque du cumul des mandats où le député était aussi élu local, et où on mélangeait volontairement le travail de maire, de conseiller général, de conseiller régional et de parlementaire. L’époque des fiefs électoraux et des barons locaux, l'époque du clientélisme roi aussi. C'est par la loi que la gauche a mis fin en 2014 à cette aberration démocratique. Carole Delga devrait s'en souvenir : elle était députée, puis elle fut même un temps Secrétaire d'État par la volonté de son mentor en politique nationale, le trop fameux Manuel Valls.
Au collège, on apprend que le député vote les lois, contrôle le gouvernement représente sa circonscription à Paris. Il y a quelques années, on a fort justement supprimé pour cause d'abus de « copinage et favoritisme » les fonds des réserves parlementaires, qui permettaient aux députés de financer des projets locaux. Depuis 40 ans, avec la décentralisation voulue par François Mitterrand, ce sont les mairies, les communautés, les départements et les régions qui gèrent ces dossiers locaux et régionaux – des routes au développement économique, des écoles aux lycées, de l'eau aux déchets, de l'urbanisme à l'aménagement du territoire, etc.
Les maires et présidents des collectivités veillent jalousement sur leurs compétences, c'est le moins qu'on puisse dire, et ils ont raison. Je n'ai jamais vu un député signer un Contrat de plan avec l'État. Carole Delga et Christine Téqui devraient le savoir, elles qui les négocient et les signent ou contresignent. Je suppose donc qu'elles sont capables de défendre leurs dossiers auprès des préfets, des ministres et de l'Union Euopéenne sans demander l'autorisation aux députés… Il faudra qu'elles expliquent cela à leurs deux candidats, qui visiblement ne le savent pas et font des promesses qui, bien qu'électorales, ne sont pas du domaine et de la responsabilité d'un député. Cela montre soit qu'ils ont séché les cours d'instruction civique au collège, soit qu'ils nous enfument avec aplomb et ténacité.
On n’est plus à l'époque de la IIIe République, où le député « montait à Paris » en train pour la session parlementaire dans le cadre d’une véritable expédition de trois mois, apportant dans ses valises quelques dossiers locaux pour ses amis politiques. Depuis, on a inventé le téléphone, l'avion et même Internet, ce qui facilite le contact direct des élus régionaux avec les administrations centrales et les cabinets ministériels. Les ministres reçoivent plus facilement un président de département ou de région qu'un député pour un dossier de leur territoire. Raconter l'inverse est nous prendre pour des arriérés, ou pire des imbéciles. Il est pathétique que des élus fassent croire, après 40 ans de décentralisation, que c’est le député qui finance et porte les projets locaux.
Par contre, le rôle du député est central pour voter les lois au service des électeurs (ariégeois) dont il porte la voix dans l'enceinte de l'Assemblée Nationale. Le terrain du député, c'est l’Assemblée Nationale, ses Commissions. Son travail au sein de son groupe est de faire la loi, de préparer les amendements, de rencontrer les associations, collectivités et syndicats concernés dans sa circonscription et ailleurs. C’est de combattre et bloquer les mauvais projets, de défendre ses électeurs, les services publics et les conquêtes sociales. Et non pas de s'occuper des nids-de-poule, de réparer la toiture du collège, d'installer la fibre ou de développer le tourisme ou l'économie de proximité. Ça, c’est votre travail, Mmes Téqui et Delga ! 60 % des électeurs ne se sont pas déplacés pour voter aux Départementales et aux Régionales, même mal élues, vous avez été élues pour ça.
En France, il n'y a pas de loi ariégeoise ou occitane. Cette vision de la politique nationale ramenée au niveau du département ou de la région est une fiction, c’est la politique racontée aux enfants. Michel Larive et Bénédicte Taurine ont toujours aidé les maires qui leur demandaient des conseils ou de l’aide, tant auprès du préfet que des ministères. Mais soyons clairs : ce n'est pas le rôle principal et le plus efficace du député.
Bref, un programme électoral pour les Législatives ne se fait pas pour un département ou pour une région, mais pour la Nation dans son ensemble. Quand on se dit républicain(e), on le sait, et on ne raconte pas le contraire.
Un programme national de gauche, c’est ce que proposent le PS, le PCF, EELV, Génération.S et La France Insoumise avec le programme de la NUPES, pour la France et donc pour l'Ariège, et pas l'inverse. Le député peut aider, comme je l'ai déjà dit (faut-il encore le lui demander), surtout quand il est dans la majorité et pas dans l'opposition. Quant aux candidats dissidents du PS, soutenus par Carole Delga, François Hollande ou Bernard Cazeneuve, ils ne sont présents que dans à peine 10 % des circonscriptions, incapables qu'ils ont été de trouver des « candidats dissidents » pour les 577 circonscriptions ! Ces candidats dissidents sont en prime majoritairement rattachés financièrement au Parti Radical dit de Gauche, à savoir le Parti de la famille Baylet, comme par hasard... Dès avant l'élection, ces candidats dissidents se sont donc déjà marginalisés, divisant la gauche. Il faut parfois savoir regarder au-delà des frontières du département pour comprendre les petits jeux locaux à la lumière des petites manoeuvres nationales...
En revanche, pour les candidats NUPES, la victoire est possible, parce que 80 % des électeurs de gauche veulent l'union, et depuis longtemps. Si on se mobilise (et les sondages montrent qu'il y a une dynamique à gauche), les candidats de la NUPES peuvent être majoritaires à l'Assemblée Nationale et imposer une cohabitation à Emmanuel Macron. Dans tous les cas, ils constitueront un inter-groupe important et puissant, qui pourra peser contre la politique du gouvernement et mieux nous protéger d'un président qui ne sera pas rééligible dans cinq ans, et sera donc capable de tous les excès.
Le terrain pour un député, c'est l’Assemblée Nationale. Sa mission n’est pas de jouer les super-conseillers départementaux ou régionaux, n'en déplaise à la présidente de la Région et du Département. En Ariège, les députés Michel Larive et Bénédicte Taurine ont « fait le boulot » à l’Assemblée Nationale. Tous les observateurs ont salué le travail, la présence et l'action des 17 députés de La France Insoumise. En Ariège aussi, ils ont pris part aux combats sociaux ou environnementaux. Combats qu'évitent consciencieusement les candidats de Mmes Delga et Téqui, plus habitués aux petits-fours du Conseil Départemental, aux « coupures de ruban » et autres « poses de première pierre» en compagnie du ban et l'arrière-ban des notables et notabliotes qu'aux manifestations de la population dans la rue et aux combats sociaux ou environnementaux.
La spécialité de Mme Téqui et des socialistes ariégeois est de manifester seulement avec le très à droite et pas mal excité Jean-Luc Fernandez, patron local du lobby national des chasseurs, aux côtés des très " écologistes" représentants de la FNSEA-Chambre d'agriculture, défenseurs du glyphosate, des pesticides et de l'agriculture industrielle. Comme encore ce vendredi à Saint Girons devant la gendarmerie, contre une enquête de la justice pour « chasse dans une réserve». Beaucoup en Ariège n'ont pas oublié quand certains élus, chasseurs et membres de la FNSEA ont bloqué, puis franchement menacé, le Forum des associations environnementales du département à La-Bastide-de-Sérou. J’étais présent en spectateur, et ce fut pour moi un grand moment de honte pour ces élus, pour l'image de mon département. Avec en point d'orgue d'entendre hurler « On est chez nous ! », slogan pourtant bien connu du FN, entonné par cette foule hargneuse. Heureusement, la préfète avait prévu assez de Gardes Mobiles pour protéger les participants pacifiques, mais très choqués, à ce Forum où il n'était même pas question de l'ours, mais d'écologie en général ! Drôle conception de la démocratie, de la liberté de réunion et d'information.
L'héritage de Valls malgré tout
Les électeurs de gauche n'ont pas oublié les années Hollande avec le « social-libéralisme », et cette « gauche de droite » incarnée par le gouvernement Valls puis Cazeneuve, que Mmes Delga et Téqui soutenaient. Tout comme, pendant la primaire, elles avaient soutenu Manuel Valls. Carole Delga avait été très active en organisant, notamment, un grand meeting à Colomiers alors que, depuis longtemps, elle participait régulièrement aux réunions du courant pro-Valls, les Réformateurs.
Mmes Delga et Téqui se veulent aujourd’hui les héritières socialistes des idées de Manuel Valls en reprenant par exemple à leur compte le concept fumeux des « deux gauches irréconciliables », inventé par le gyrovague Manuel. Ce concept creux, qui a fait long feu, est démenti par toute l'histoire de la gauche, qui a toujours gagné quand elle a su se rassembler sur un projet commun, malgré des divergences bien plus profondes qu'aujourd'hui. De Jean Jaurès au Front populaire, puis en 1981 ou en 1997, il n'y a jamais eu de gauches irréconciliables. L'Histoire le démontre et, une fois de plus avec la NUPES, la gauche a, comme le souhaite l'immense majorité de ses électeurs, su se rassembler, n'en déplaise aux candidats dissidents qui reprennent les arguments des macronistes et de la droite contre la NUPES .Ce week-end, les électeurs français vivant à l'étranger se sont rappelés aux bons souvenirs de Manuel Valls et de ses amis en l’éliminant dès le premier tour des législatives, et en portant la NUPES au second tout dans 10 circonscriptions sur 11.
Cela à l’heure où Carole Delga s'imagine un destin national en 2027, ce qui est parfaitement son droit mais qui agace profondément Hollande et Cazeneuve, qui eux s'y voient aussi. Tous trois veulent jouer le premier rôle dans « Perrette et le pot au lait du social-libéralisme en 2027 ». Il s'agit donc pour eux à l'occasion de ces élections législatives de marquer leurs différences, d'exister un peu dans la presse nationale, et d'essayer incarner et de rassembler ce qu'il reste de l'aile droite du PS non encore déjà passée avec armes et bagages chez Macron . Tout ça pour ça, me direz-vous…
La politique politicienne est souvent désespérante, et c'est bien triste. On aurait espéré que ces gens jouent plus collectif, mais ce n'est pas très grave. Les électeurs de gauche n'ont pas une mémoire de poisson rouge, ils n'ont pas oublié leur politique plus libérale que sociale quand ils étaient tous trois aux affaires de l'État.
Plus il y aura de députés NUPES à l’Assemblée Nationale, plus ils seront efficaces. Voter pour les candidats soutenus par Mmes Delga et Téqui, c’est faire un vote inutile, c'est faire cadeau de la division aux candidats de La REM et du RN. C'est voter pour des candidats dont les « valeurs socialistes » sont pour le moins « élastiques », comme celui de la seconde circonscription soutenu officiellement par Philippe Calléja, ancien président des Républicains 09 et soutien de Fillon en 2017… Tout un programme !
En 2022, pour les Ariégeoises et Ariégeois, le vote utile, c’est le vote de gauche. Voter pour l'espoir et la résistance, c'est voter pour les candidats de la NUPES. En Ariège comme dans la France entière.
Michel Teychenné
Le 6 juin 2022