Quelques réflexions sur Gaza, les étudiants,
le génocide et les commentateurs
Depuis l'horrible pogrom du Hamas le 7 octobre, puis la violente réaction du gouvernement israélien, les injonctions à prendre position pleuvent, comme les bombes à Gaza. Ne pas soutenir Israël serait une forme d'antisémite et soutenir les Palestiniens serait être un suppôt de l'islamogauchisme wokiste ou pire du Hamas.
Cette obligation à prendre parti repose principalement sur l'émotion légitime. D'abord, le 7 octobre nous a laissés sidérés par la violence, la sauvagerie, l'ampleur de l'attaque : massacre de civils, femmes, enfants, vieillards, de jeunes en plein festival de musique. Les images d'otages ensanglantés exhibés comme des animaux, des trophées de chasse, ont profondément choqué par leur inhumanité. Et 7 mois après, la réponse militaire israélienne, les bombardements massifs, les destructions systématiques, les enfants et les femmes bombardés et affamés par le blocus du ravitaillement constituent des crimes de guerre effarants. Le bilan des morts, qu'il soit de 20, 30 ou 40 000 morts, voire plus, est monstrueux, La moitié de la population de Gaza a moins de 18 ans, alors que les combattants du Hamas ont les tunnels pour s'abriter ce qui n'est pas le cas des civils.
Mais face à ces injonctions politiques ou médiatiques à prendre parti et à diaboliser le camp d'en face, quitte à se faire instrumentaliser, nous ne devons pas oublier qui sont les protagonistes de cette nouvelle guerre :
Les Frères Musulmans, maison mère du Hamas, ont assassiné Anouar El Sadate parce qu'il avait signé la paix avec Israël. Le Hamas a dans sa charte l'éradication de l'État d'Israël et l'établissement de la Charia en Palestine. Il fait régner à Gaza la terreur la plus féroce. En Israël, démocratie réelle, c'est la droite dure et l'extrême droite qui dirigent le gouvernement. En font notamment partie les ministres Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, héritiers du parti raciste et suprémaciste juif du Rabin Kahane, celui qui appela au meurtre de Yitzhak Rabin pour avoir signé en 1995 les accords d'Oslo. Benyamin Netanyahou aussi a toujours combattu Yitzhak Rabin, la solution à deux États et les accords d'Oslo. D'ailleurs, un chiffre est rarement cité dans les médias : au moment de la signature des accords d’Oslo, il y avait 150 000 colons en Cisjordanie occupée. Aujourd'hui, 30 ans après, ils sont 800 000, qui occupent une Cisjordanie devenue une peau de chagrin. Cette colonisation méthodique depuis 30 ans, portée par tous les gouvernements successifs, bloque de fait la création d'un État palestinien, ce qui doit tous nous interroger sur la politique d'Israël depuis 30 ans.
Ce sont aujourd'hui deux courants politiques extrémistes qui s'affrontent : le Hamas d’une part, la droite et l’extrême-droite israéliennes d’autre part. Ils font tout pour creuser le plus profondément possible le fossé déjà bien large entre les Israéliens et les Palestiniens. Ce qui se passe depuis le 7 octobre découle de politiques voulues et assumées des deux côtés, sans aucune perspective de paix. Au-delà de l'émotion légitime face aux morts des deux camps, je me contenterai d' analyser certains points saillants du traitement médiatico-politique de cette guerre.
Dans cette période, deux éléments marquants ont attiré mon attention sur le plan médiatique et de la communication politique :
Commet le mouvement étudiant à Science Po, en réalité un micro mouvement d'une centaine de personnes qui bloquent l'établissement parisien accompagné de quelques mouvements dans les Sciences Po de province, a-t-il pu occuper le devant de la scène médiatique de façon si massive? Dès le début du mouvement, c'est la venue du Premier ministre Gabriel Attal qui a mis en lumière ce petit mouvement étudiant, Attal venu dénoncer des faits « antisémites » suite à la rumeur selon laquelle une étudiante juive aurait été exclue d'un débat sur Gaza. Une enquête a été ouverte et aujourd'hui, rien de concret n'étaye cette thèse. Il s'agirait plutôt d'une friction entre étudiants au sujet de la diffusion d'images de manifestants sur les réseaux sociaux. Quant au procès fait aux étudiants de Science Po d'être des fils de riches, futurs bobos en manque d'émotions fortes, c'est là aussi méconnaître l'évolution de cette école dont la moitié des étudiants sont étrangers, et où les boursiers constituent une part importante de l’effectif étudiant.
La deuxième phase a consisté à diaboliser la petite manif devant Science Po, où des « mains rouges » ont été levées pour dénoncer le bain de sang à Gaza . Les chaînes info ont vu là l’islamisation du mouvement et une référence directe au lynchage à Ramallah de deux réservistes israéliens en 2002, événement très connu en Israël et beaucoup moins en France. On a vu entre autres BHL, Robert Ménard (le maire facho de Béziers) ou encore Julien Dray cracher leurs venins sur ces « étudiants incultes, islamo-gauchistes et woke » reprenant selon eux ce symbole antisémite si connu, et cela à longueur de plateaux. BHL et Ménard oublient qu'a leur âge, il y a bien longtemps, ils étaient eux maoïstes, rêvaient d'une Révolution culturelle chinoise en France, Ménard a même pleuré à la mort de Mao, c'est lui qui le raconte! Quant à Dray, qui ne sévit plus que sur la chaîne de Bolloré, CNews, il fut longtemps un trotskyste partisan de la Révolution mondiale, rentré au PS pour le nettoyer de l'intérieur. Ont-ils donc oublié leurs erreurs de jeunesse, ou sont-ils simplement devenus des « vieux cons » comme le chantait Brel en parlant des bourgeois?
Cette histoire de « mains rouges » dénote l’inconsistance des médias qui l'ont relayée, ou pire leurs partis-pris. Quand on sait les manifestants anti-Pinochet ont utilisé ces fameuses mains dès les années 1980, que Instinction Rebelion les utilise régulièrement dans ses manifs, sans que personne ne s'en offusque, et surtout que huit jours avant la manifestation devant Sciences Po, les parents d'otages eux-mêmes ont manifesté à Tel-Aviv contre leur gouvernement les mains levées barbouillées de rouge pour l'accuser d'avoir le sang des otages sur les mains, on s'interroge sur « l'objectivité » de certains médias qui, comme CNews, BFM, ou LCI, ont été en pointe dans cette infox.
Alors pourquoi faire ce faux procès aux étudiants de Science Po, dont d'ailleurs la mobilisation est très minoritaire, n'a pas gagné pour le moment d'autres franges de l'Université ou des lycées et a même connu un échec important avec la manifestation interuniversitaire devant le Panthéon avec seulement d200 manifestants présents. On est très loin en France du mouvement qui traverse les universités américaines, malgré ce que voudraient nous faire croire le gouvernement et ses relais.
Le bon sens aurait été de rappeler que les mouvements dans les facultés sont constitutifs de la vie étudiante, que la finesse d'analyse et la pondération ne sont pas traditionnellement les marqueurs principaux de ces mouvements et que, globalement en France, tant dans les universités que dans la rue, notre modèle universaliste et républicain nous a évité des débordements rencontrés ailleurs en Europe – en particulier au Royaume-Uni ou en Allemagne avec des mouvements populaires très importants avec clairement des slogans islamistes. Enfin, qui peut reprocher aux jeunes d'être sensibles à la situation des Palestiniens à qui on promet un pays depuis 1948 et aux images quotidiennes de massacres et des bombardements à Gaza ? Même maladroits et excessifs, les jeunes mobilisés dans les manifs et les mobilisations font preuve d'humanité.
Autre sujet et pas des moindres : l'acharnement de certains à vouloir qualifier de « génocide » les massacres de civils et les destructions en cours à Gaza. Sur le plan du droit international, il a été évoqué un risque génocidaire et non un génocide avéré, sachant que la définition du génocide en droit international est large. Comme je ne suis pas juriste, et encore moins juriste international, je m'en tiendrai à la sémantique politique et à la compréhension du mot « génocide » partagée et comprise par tout un chacun.
L'opinion connaît les trois génocides du XXe siècle : celui des Arméniens, celui des Tutsis au Rwanda, et bien sûr la Shoah, le génocide du peuple juif avec ses six millions de morts. Alors pourquoi qualifier de génocide les combats à Gaza, alors que les 500 000 morts en Syrie de Bachar El Assad ou encore les centaines de milliers de morts au Darfour et au Soudan n'ont jamais appelé une telle qualification, pour ne citer que des événements contemporains dramatiques?
Tout le monde sait peu ou prou que l'État d'Israël a été créé après la Seconde Guerre mondiale pour donner un pays, un refuge, aux rescapés de la Shoah. Israël est le résultat direct du génocide juif par les Nazis en l'Europe, auquel d'ailleurs tous les pays occupés ou alliés de l'Allemagne avaient plus ou moins collaboré. C'est bien à cet élément historique connu de tous que les tenants du terme « génocide » tentent de s'attaquer, consciemment ou non.
Diviser l'ancienne province Ottomane de Palestine, sous mandat britannique depuis la fin de la Première Guerre mondiale, en deux États, l'un juif, l'autre arabe, était apparemment faire preuve de sagesse, Les Juifs et les Arabes (musulmans et chrétiens) y cohabitaient plus ou moins bien depuis toujours, dans des proportions diverses en fonction des époques. Malheureusement, les États arabes voisins ne l'ont pas accepté. Ce furent alors guerre de 1948, leur défaite cuisante, et la Nakba, l'exode de 800 000 palestiniens. La suite on la connaît malheureusement...
Le débat actuel sur le « génocide » à Gaza, prend naissance dans les conditions mêmes de la création de l'État hébreu. Établir une équivalence entre le génocide des Juifs et le « génocide » actuel des Palestiniens, c'est en réalité essayer de délégitimiser l'État Juif issu d'un véritable génocide, en faire même artificiellement un État qui deviendrait à son tour un état génocidaire, c'est provoquer une mise au ban de la communauté internationale et légitimer toutes les attaques contre lui, à l’instar de celle du 7 octobre perpétrée par le Hamas. C’est ce jeu pervers que jouent l'Afrique du Sud et quelques autres États du Sud global qui ont porté ce dossier devant la cour de La Haye. Construire ce parallèle est extrêmement grave. C'est volontairement créer une confusion dans l'esprit des populations, c'est une négation de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, c'est de fait banaliser la Shoah en la ramenant à « massacre parmi d'autres ». Par cette figure sémantique, on touche à la racine même de l'antisémitisme actuel, qui consiste à relativiser le génocide des Juifs et donc à contester leur droit des Juifs d’avoir un État : les deux grands leitmotivs de l'antisémitisme contemporain.
Antisémitisme que je ne confonds pas avec l'antisionisme qui est à mon sens le refus de voir la Bible Hébraïque être considérée comme opposable à tous par son évocation du Grand Israël allant « de la rivière à la mer », donné au Peuple élu par Dieu en personne. Tel est le discours des partis dits messianiques en Israël, partis des colons, qui bénéficient aux États-Unis d’un soutien très important de la part des Évangélistes, qui forment d’ailleurs le gros des troupes de Trump. Mais c’est aussi le discours de Benyamin Netanyahou et du Likoud, qui ne cachent pas leur opposition à la solution à deux États et leur soutien à la colonisation, un objectif politique, sinon divin.
Le débat sur le slogan palestinien « de la rivière à la mer », largement agité en France dans les médias, est partagé par l'actuel gouvernement israélien dont la politique à Gaza, en rendant le territoire inhabitable, et en Cisjordanie occupée par la colonisation, relève d’une politique sioniste visant la création d’un Israël allant du Jourdain à la Méditerranée. On aimerait entendre cet objectif condamné plus souvent par nos politiques de droite comme de gauche et par les commentateurs politiques, si prompts à fustiger les étudiants qui, sans trop réfléchir, ont eux aussi entonné ce slogan mais pour la Palestine devant Sciences Po.
En conclusion
En France, la classe politique, de LFI au RN, répète comme un mantra bien pratique qu’elle soutient la solution à deux États. Rien de très nouveau, puisque c'est la position de l'ONU depuis 48 et la création de l'État d'Israël, reprise dans les accords d'Oslo il y a presque 30 ans. Personne ne dit comment parvenir à la création de deux États et chacun, en fonction de sa sensibilité politique, accuse les autres de soutenir ceux qui auraient conduit à l'échec du plan d'Oslo. Un vrai combat de sourds, mais pas de muets.
Il nous faut continuer à espérer que la solution à deux États reviendra sur la table des négociations dans un proche avenir, une fois la guerre finie. Espérer que la démocratie israélienne chassera du pouvoir les extrémistes actuels et que l'Autorité palestinienne, discréditée dans sa représentation démocratique et rongée par la corruption se réformera et sera enfin crédible.
Il restera deux grands défis à relever avec l'aide de la communauté internationale : décoloniser les territoires palestiniens occupés par Israël, et en finir avec le terrorisme des milices islamiques pour l'Autorité Palestinienne . C'est à ces deux conditions que la Paix pourra être négociée entre Israël et les Palestiniens. On peut toujours espérer ...
Michel Teychenné