La parole des politiques soumise à contre-enquête.
Par CATHERINE PETILLON
«Pour régler quelques dizaines de milliers de cas, le gouvernement, sans aucune concertation, est en train de rayer du code civil le terme de père et de mère pour le remplacer par parent A et parent B.»
Jean-François Copé le 12 novembre sur RTL
INTOX
C’est l’argument médiatique favori des opposants au mariage pour tous. A les croire, le texte de loi entraînerait la disparition des termes «père» et «mère» du code civil et des documents administratifs. Pour François Fillon, c’est même cette découverte qui expliquerait un revirement de l’opinion de nombreux Français. «Ils étaient favorables, et quand on a commencé à leur expliquer qu’on allait modifier le code civil et que, désormais, on allait avoir des parent 1 et des parent 2 à la place du père et de la mère, ils ont commencé à comprendre que ce n’était pas seulement la reconnaissance de l’amour homosexuel, mais une question de filiation», a-t-il expliqué sur France 2 le 25 octobre.
Ce qui fait à l’ancien Premier ministre au moins un point commun avec son ennemi du moment, Jean-François Copé, lequel affirmait, le 12 novembre sur RTL : «Ce que je condamne, c’est que pour régler quelques dizaines de milliers de cas, aussi respectables soient-ils, le gouvernement, sans aucune concertation, est en train de rayer du code civil les termes de père et de mère pour les remplacer par parent A et parent B.»
L’argument a aussi gagné le discours du Front national et de sa présidente. Interrogée sur LCP, le 9 novembre, Marine Le Pen déclarait : «Moi, je suis une maman aussi. Et moi, j’ai pas envie que demain à l’école, plutôt que le nom du père et le nom de la mère, il y ait marqué parent 1, parent 2.»
DESINTOX
Des parents A et B (ou 1 et 2) en lieu et place des pères et mères ? L’image a le mérite d’être frappante. Mais elle a l’inconvénient de ne reposer sur strictement aucune réalité. Il n’y a nulle trace de ces termes dans le texte du projet de loi. On les retrouve, en revanche, très tôt dans les argumentaires des associations familiales et des réseaux catholiques les plus farouchement opposées au projet. Ainsi, en mars 2012, le Collectif pour l’enfant (qui rassemble associations et élus) écrivait : «Le Parlement n’a pas le droit d’imposer à tous les parents de devenir parent A et parent B, parent 1 et parent 2 sur leur livret de famille, en attendant le parent 3 et suivant, car si l’adoption n’est plus fondée sur l’altérité sexuelle, pourquoi s’arrêter à deux parents seulement ?»
Reprise par une partie de la droite, la formule est désormais devenue le pivot de ces argumentaires politiques. Les opposants au texte défendent un certain modèle familial. Et pour cela, ils n’hésitent pas à imaginer et mettre en scène la disparition des termes mêmes qui le désignent, père et mère.
Le projet de loi prévoit effectivement un certain nombre de modifications du code civil. Le texte précise que lorsque cela se révèle nécessaire, les mots «père» et «mère» sont remplacés par le mot«parents», et les mots «mari et femme» par le mot «époux».
Ces modifications visent à rendre les dispositions du code civil applicables à l’ensemble des parents. Il est par exemple prévu qu’à l’avenir, les mineurs ne pourront se marier sans l’accord «de leurs parents» (article 145), ou encore que les enfants devront l’aide alimentaire à leurs parents et non plus à «leurs père et mère qui sont dans le besoin» (article 205 ). Le texte changera «uniquement quand il y a un risque pour les couples homoparentaux, c’est-à -dire dans les cas où la formulation pourrait empêcher un juge d’appliquer un article à un couple de même sexe», précise Erwann Binet, le rapporteur socialiste de la loi.
Dans tous les autres cas - et donc dans le reste du code civil -, les articles ne sont pas modifiés et les termes père et mère sont conservés. Ils ne sont donc pas «rayés», contrairement à ce qu’affirme Jean-François Copé. Surtout, même dans les articles où le terme de «parents» sera adopté, il n’est nullement prévu d’instaurer une numérotation pour les hiérarchiser. «Parler de parent 1 ou 2, c’est aussi une manière de désincarner le débat, de le déshumaniser», estime Erwann Binet.
Outre le code civil, une autre source d’inquiétude des opposants au mariage pour tous concerne l’impact sur les formulaires administratifs, tels que le certificat de naissance et le livret de famille.
Actuellement, ils ne sont pas conçus pour des parents de même sexe. Mais leur modification ne relève pas du législatif. En toute logique, donc, le texte de loi n’en parle pas. Et si un changement était nécessaire, rien ne permet de dire que l’on «numérotera» les parents dans le cadre des futurs documents.
Ce qui n’empêche pas, là encore, l’argument de s’étaler, se tordre, jusqu’à devenir l’objet d’un fantasme total. Car contrairement à ce que laisse entendre Marine Le Pen, la loi ne prévoit pas que sur les documents scolaires, les parents 1 et 2 remplacent «le nom du père et le nom de la mère».