Quelques éléments d’analyse pour essayer de comprendre les élections départementales
À lire les résultats des élections départementales en Ariège, tout le monde revendique une part de la victoire : les socialistes restent majoritaires, ESA fait une entrée fracassante sur la scène politique ariégeoise, la droite maintient ses positions, le FN score et s’implante. Enfin, mes amis du Rassemblement à gauche, avec 19 % dans tout le département, font un score historique : prés de la moitié des voix du PS au premier tour, n’en déplaise à Ariège News qui a atteint des sommets comiques dans ses analyses politico-alimentaires.
Globalement, les analyses faites par la presse locale sérieuse et par les partis politiques me laissent un peu sur ma faim. En effet, comment comparer les forces politiques qui n'étaient pas présentes dans tous les cantons, ce qui est le cas d’ESA, du FN et de la droite républicaine, et vouloir en tirer des tendances départementales dans une élection cantonale qui est d'abord une élection de notables, d'élus locaux, où le contexte local a été important. L'absence d’ESA, du FN et de la droite dans la moitié des cantons nécessite, si on veut faire une analyse un peu sérieuse de ce scrutin, de regarder canton par canton ce qui s'est passé en fonction de l’offre politique, puis d’essayer d'en faire une lecture départementale – non l'inverse.
D'abord, partons du début : l'Ariège c'était avant 22 cantons : 18 socialistes, 1 DVG, et 3 à la droite. Avec la réforme et ces élections, c’est désormais cantons 13, dont 8 restent socialistes. Les lignes ont donc bougé, et l’objectif qu’avait annoncé la Fédération du PS (réaliser le Grand Chelem sur les 13 cantons) est loin d’avoir été atteint!
Conscient du reproche d’hégémonie et de sectarisme, le PS ariégeois avait cette fois modifié sa stratégie. Pour la première fois, le PS a proposé un accord électoral au PCF et au PG membres du Front de Gauche et à Europe Écologie-Les Verts (EELV) : 4 petits sièges sur les 26, mais sans discussion sur le programme, les orientations, la liberté de vote. Cette proposition juste pour la forme, c'était des « strapontins contre une muselière ». La réponse fut au niveau de la proposition : un refus poli.
Conscient de son isolement, le PS à choisi d'aller chercher dans la société civile des alliés locaux pas toujours de gauche, peu encombrants, peu politiques, et de leur offrir 10 sièges de candidats, rien que cela! Ce qui relativise la volonté d'union et « les quatre strapontins et la muselière » proposée du bout des lèvres au Rassemblement de gauche par la Fédé du PS. Ces 10 sièges correspondent exactement au poids électoral départemental du Rassemblement à gauche après ce scrutin dans le cadre d’une majorité d’union... avec les socialistes!Cherchez l'erreur.
Cette stratégie du PS lui a permis de sauver les meubles au premier tour, mais s'est avérée mortifère au second par l'absence de réserves de voix et face à la volonté de changement dans les méthodes et « les têtes » qui traverse profondément la société ariégeoise.
À vouloir gagner seul, le PS a beaucoup perdu. D'autant que la droite républicaine, absente dans 10 cantons sur 13 au deuxième tour, ne structurait plus « mécaniquement » le désistement républicain de la gauche. Seul le FN resté seul en lice dans 3 cantons contre le PS a joué ce rôle. Les électeurs se sont emparés de cette occasion, sauf quand le FN était présent, pour envoyer un message sévère au Parti Socialiste : une grande marque de maturité politique de l'électorat et un effet dévastateur sur le résultat du PS.
Tentative d’analyse canton par canton :
Canton de Haute Ariège : Dans ce canton taillé sur mesure pour le PS par le Ministère de l’Intérieur avec seulement 5 800 inscrits, moitié moins que la moyenne départementale, le PS sort vainqueur grâce au découpage. Le spectre de la difficile victoire d’Augustin Bonrepaux aux dernières cantonales a été exorcisé...
Canton Arize-Lèze : Deux listes de gauche, PS contre Rassemblement à gauche, victoire du PS mais bon score du Rassemblement à gauche avec 37,6%.
Canton Couserans Est : Idem que dans Arize-Lèze, bon score aussi du Rassemblement à gauche avec 35,23% .
Canton Couserans Ouest : Le président du Conseil général avait le soutien de 26 des 27 maires du canton. Les observateurs attendaient une élection au premier tour, cela n’a pas été le cas : les maires n'ont pas été suivis par la population. Le président du Conseil général devra analyser ce demi-échec. Enfin, opposer la figure la plus éculée de la droite représentée par Gondran au deuxième tour était la garantie du rassemblement des voix de gauche sans états d’âme...
Par contre, la division au sein du Rassemblement à gauche lui a fait rater la présence au deuxième tour. Hervé Soula n’atteint même pas la barre des 5 % et le remboursement de sa campagne.
Canton des Portes de Couserans : Une des surprises de ce scrutin ! Le PS sévèrement devancé par un candidat sortant de la droite modérée et une candidate maire de centre gauche. Le PS dans ce canton n'a pas su renouveler ses candidats. Les promesses sur le désenclavement du Couserans sont de moins en moins crédibles. Enfin, le Palais des évêques de Saint-Lizier, le scandale du CAPI et les rebondissements judiciaires de la Résidence de Tourisme ont entamé la crédibilité du Conseil général. Un cocktail explosif qui a profité au changement incarné par le binôme Bernère/ Bari.
Canton du val d’Ariège : Une demi-surprise. Le Rassemblement à gauche passe devant ESA et arrive au deuxième tour. Demi-surprise, car EELV et le Front de gauche sont bien implantés dans ce canton, et le découpage aberrant, qui inclut la vallée de la Barguillère dans le canton de Varilhes, a provoqué des réactions négatives chez les électeurs. Le PS gagne, mais avec 40%. Le Rassemblement à gauche a démontré sa capacité d’élargir sa basse électorale.
Cantons de Pamiers 1 et 2 : C’est dans la première ville du département et fief de la droite que la situation était la plus singulière. En effet, la droite locale ne présentait pas de candidat contre le Parti Socialiste. La droite étant empêtrée dans « l'éventuelle » succession non réglée d'André Trigano à la Mairie, aucuns des prétendants à la succession ne tenait à se faire battre aux élections cantonales par le FN et à mettre ainsi en péril ses chances de succession au fauteuil de maire dans le cas où André Trigano voudrait ou devrait passer la main...ce qui à 90 ans bientôt n’est pas lui faire injure (mais ce dont je doute personnellement, la Mairie de Pamiers frisant le remake local du film Le viager). En laissant ainsi le terrain au Front National, la droite locale a ouvert les vannes de son électorat et propulsé le Front National à 40 % au premier tour sur la ville de Pamiers. Cette élection laissera des traces profondes dans la droite municipale. Rappel : le FN était à 17 % aux municipales il y a un an !
Sur la Ville de Pamiers le Rassemblement à gauche confirme et améliore le score des municipales de la liste « Pamiers au cœur ». Par contre, sur le canton Pamiers 1, le score laisse à désirer, notamment en raison de la présence concurrente de la liste ESA plutôt identifiée centre gauche.Sur Pamiers 2 très bon score du tandem Mourlane-Barthez.
Côté socialiste, là aussi les problèmes de succession ont joué à plein, Montané refusant de passer la main et le député Fauré ayant échoué à imposer son poulain le maire des Pujols, c’est Jean-Claude Combres, maire de La Tour du Crieu, qui a été promu au rôle d'héritier devant attendre une éventuelle démission en cour de mandat de son titulaire. L’absence de renouvellement et la forte représentation de la Commune de la Tour du Crieu (deux candidats sur quatre) ont fait que le PS a été à la peine et est même arrivé derrière le FN au premier tour . Au second, le désistement républicain face au FN a parfaitement fonctionné à gauche. Mais sur les deux cantons de Pamiers, le PS a senti le vent du boulet : un PS sans leadership, divisé et compromis avec la droite à la Communauté des communes.
Canton de Foix : Coup de tonnerre dans le ciel ariégeois, les socialistes perdent canton de Foix ! C'est à croire que les analystes politiques n'ont ni mémoire, ni analyse... Revenons en 2008 à la dernière élection cantonale sur le canton de Foix, qui ne comprenait alors que la ville.
Le tandem Fondère-Massat avait été quelque peu chahuté par la candidature divers gauche de Carol. Il avait remporté le canton de 101 voix, avec 51,23 %. Au même moment sur le canton de Foix rural, le poids lourd du Conseil général Guy Destrem était battu par un candidat divers gauche Benoît Alvares.
Pourtant en 2008, le Parti Socialiste était dans l'opposition, et les cantonales avaient été un grand succès sur le plan national pour lui.
Les leçons de l'élection de 2008 puis des municipales avec la défaite de Jean-Christophe Bonrepaux n’ayant pas été tirés, le redécoupage du canton de Foix élargi aux communes environnantes (qui avaient voté Alvarez en 2008 ) et surtout le choix surprenant de mettre en binôme avec Frédérique Massat un jeune et frétillant apparatchik PS cadre du Conseil général et fraîchement élu sur Foix ont produit les résultats que l'on sait . Cette candidature sensée incarner la « modernité » a surtout affiché maladroitement le poids de la ville-centre et de l’appareil du PS sur ce canton. La politique du gouvernement et les tensions à la Communauté des communes de Foix, plus un binôme ESA dynamique et sérieux issu du terrain, ont fait le reste.
La fédération du PS paie cash son autisme et son entêtement.
Canton du Pays d’Olmes : Après la véritable chasse à l'homme dont a été victime Marc Sanchez depuis des années de la part des socialistes, la population du Pays d’Olmes a remis les pendules à l'heure en le plaçant dès le premier tour en tête avec 10 points d’avance sur la liste officielle du PS, et cela malgré l’absence de candidat de droite négociée par le PS local avec le président de la Communauté des communes.
Marc Sanchez avait été battu à la Communauté des communes par une alliance contre nature entre des élus PS et les élus de droite : la population du Pays d’Olmes a apporté sa confiance à l'équipe de Marc Sanchez, soutenu aussi par le Rassemblement à gauche.
Cette élection referme la parenthèse Jean-Pierre Bel dans le pays d’Olmes.
Canton du Sabarthès : Ce canton symbolique détenu par le sénateur socialiste échappe largement au PS. Très belle victoire de Benoît Alvarez, mais aussi victoire personnelle pour Alain Sutra qui ferraille depuis des années contre le monolithisme socialiste dans la Haute-Ariège. La grande erreur du PS est de ne jamais avoir voulu trouver un accord raisonnable avec le président départemental du PRG.
La population du canton de Tarascon est visiblement lassée de ces guéguerres et en a fait porter la responsabilité sur les socialistes et sur leur candidat pas vraiment de gauche... La double peine en quelque sorte.
Canton de Saverdun Portes d’Ariège : Un cadeau pour le droite, un scandale politique. Si le retrait du candidat socialiste sur Lavelanet se justifiait face au Front National entre listes de gauche, rien ne justifiait le retrait du candidat socialiste sur Saverdun : le total des voix de gauche dépassait de plus de 3 % la liste de l'UMP. Le FN n’était pas en mesure de gagner. Les candidats du Rassemblement avaient dès dimanche soir apporté leur soutien total aux candidats socialistes.
Rien ne justifiait ce retrait-surprise des candidats socialistes voulu par Nayrou et Bonrepaux, qui ont offert ce canton à la droite sur un plateau, ou plutôt à Louis Marette. Échange de bons procédés avec un représentant si accommodant de la droite. Il ne fallait pas risquer de mettre en cause cette cogestion de la Basse-Ariège et de nombreux syndicats où siège le toujours maire de Mazères, caution de moralité et de bonne démocratie du PS ariégeois. Du cynisme à l’état pur!
Une pensée pour mes anciens camarades socialistes et à tous les militants de gauche de ce canton qui vivent très mal ce « lâchage » programmé.
En conclusion
L’Ariège reste une terre de gauche, une terre des gauches, avec un vote PS qui se rétracte et se replie sur les cantons ruraux et montagnards, un vote rouge-vert qui progresse et se structure, et un vote plus local incarné par ESA dont les succès, certes importants, se limitent quand même à des cantons où des élus locaux bien implantés et de gauche se sont révoltés depuis longtemps contre les méthodes et l’hégémonie socialiste : Sanchez à Lavelanet, Sutra à Tarascon, Alvarez et Donzé à Foix. Dans ces trois cantons, la population leur a apporté son soutien et a sanctionné les comportements locaux du PS. Sur Varilhes, Pamiers 1 (avec le soutien d’André Trigano) ou Mirepoix, ESA est éliminée dès le premier tour, ce qui démontre les limites de sa démarche « apolitique »...
Le PS est le grand perdant de ces départementales
Avec un découpage sur mesure et un système électoral faite pour écarter les autres formations de gauche du deuxième tour, le PS ne conserve en Ariège que 16 sièges sur les 26 de la nouvelle assemblée. Bien loin de ses objectifs affichés par Jean-Christophe Bonrepaux en début de campagne, soit 13 cantons et 26 élus...
Ces élections marquent la fin d’une époque, celle de l’hégémonie du PS ariégeois.
Le temps de chèvres et des ânes élus automatiquement grâce au poing et à la rose est terminé... Une bonne nouvelle en somme.