La Dépêche du Midi / 15 décembre 2010
Entre des jugements de violences conjugales, d’escroquerie ou d’accident de la route, c’est une audience un peu particulière qui a eu lieu cet après-midi au Tribunal correctionnel de Foix.
Pour une affaire qui remonte en fait à la constitution des listes pour les élections Régionales de mars dernier...
En février, Augustin Bonrepaux (président du Conseil général de l’Ariège) porte plainte (en tant que particulier) pour diffamation contre Michel Teychenné (ancien député européen et chef de file du groupe de gauche à Pamiers).
Augustin Bonrepaux n’apprécie alors pas beaucoup les propos tenus par Michel Teychenné par voie de presse, ce dernier lui faisant porter le chapeau de son éviction de la liste socialiste en raison de son «homophobie»
Mais pour avoir le récapitulatif précis des faits, il faut se plonger dans les rouages électoraux de l’appareil socialiste.
Et c’est Michel Teychenné qui s’en est chargé à la barre, avant de laisser la place aux avocats.
En rappelant d’abord le processus de candidature. Et comment la sienne aurait été bloquée par une manœuvre de la fédération socialiste de l'Ariège, malgré son rétablissement par la convention nationale. Tout cela, selon lui, avec intervention du président du Conseil Général.
En passant par la phrase qui aurait été prononcée par Emile Franco, «ce qui nous pose problème, c’est ta vie privée»
Puis par ses prises de position sur un dossier d’adoption par un couple gay (bloqué par le département).
Pour arriver enfin à ses interrogations publiques, concernant les raisons de son éviction de la liste aux régionales...
«Tout cela est du pur mensonge !» s’exclame Régis Degioanni, avocat de Mr Bonrepaux arrivé à la barre et qui renchérit, «ce dossier se trouve plus généralement au niveau de la morale.
Avec une instrumentalisation de la cause homosexuelle pour une cause personnelle.
L’Ariège, il n’en a que faire! Ce qui l’intéresse, c’est lui et sa carrière !»
Pour arriver là aussi à un rappel des faits, mais à une tout autre sauce.
Comment en novembre 2009, la commission désigne Emile Franco candidat. Comment le Conseil fédéral valide la décision.
Puis comment une commission nationale, «par un tour de passe-passe», raye Emile Franco et le remplace par Michel Teychenné, grâce à ses «nombreux contacts au niveau national».
Pour expliquer enfin, comment Augustin Bonrepaux ne participe pas à la composition des listes.
Le comportement de l’ancien député européen serait alors «une manœuvre politicienne», «de la malhonnêteté intellectuelle», «de la mauvaise foi»...
Les accusations fusent.
Et devant un Michel Teychenné bouillant sur sa chaise, son avocat Emmanuel Tordjman prend enfin la parole avec tout autant d’inspiration, fonçant sur l’argument de la «liberté d’expression»
Et en justifiant pourquoi il demande la nullité de la citation, qui n’explicite pas précisément les passages incriminés, «dans les 23 citations du dossier, seulement 5 correspondent à des propos fidèlement tenus par Michel Teychenné»
Qu’est ce qui est de l’ordre de la «surinterprétation» du journaliste? Sur quoi se base-t-on quand on analyse les «propos» de Michel Teychenné?
«On ne peut pas être condamné sur des propos généraux, mais sur des citations précises» martèle l’avocat.
Alors Michel Teychenné a t-il simplement «supputé», s’est-il simplement «interrogé», ou a-t-il «accusé» clairement le chef de file du département d’homophobie?
Ce sera sans doute la clef du jugement.
Dans une affaire pour le moins atypique où l’on est en droit de se demander, comme l’a d’ailleurs fait un des avocats, si «une juridiction correctionnelle est le lieu adéquat pour déballer le linge sale du Parti Socialiste ariégeois»
L’affaire a été mise en délibéré pour le 4 janvier 2011.
Ariège New / 15 décembre 2010
POUR RAPPEL, L'ARTICLE PARU DANS LIBÉRATION, ÉDITION NATIONALE, EN FÉVRIER 2010 :
Il y a quelques années, il valait mieux cacher son homosexualité quand on désirait adopter un enfant. La justice vient de rappeler que l’orientation sexuelle ne peut pas, par principe, être un obstacle. Cette fois, elle l’a signifié à un homme de gauche : le président socialiste du conseil général de l’Ariège. Augustin Bonrepaux avait invoqué le «principe de précaution» pour refuser l’agrément à un candidat à l’adoption, en couple avec un homme depuis vingt ans.
«Carte sur table». Il y a cinq ans, Pierre, la quarantaine, entame une démarche d’adoption. C’est une décision mûrie à deux, avec son compagnon. Pierre s’engage à titre individuel, comme la loi l’y autorise (l’adoption à deux est réservée aux hétérosexuels mariés). Mais le couple veut une démarche de «transparence». «On a joué franc jeu, mis carte sur table», dit Pierre. Le psychologue et l’assistante sociale chargés de leur évaluation prennent en compte leur vie de couple. Tous deux rendent un avis «favorable». «L’homosexualité du couple parental sera une différence supplémentaire pour l’enfant. Le fait que le requérant ait fait sa demande dans la clarté de sa situation nous permet de penser qu’il saura répondre aux questions de l’enfant en toute honnêteté et simplicité, facteur important pour sa construction psychique», constate l’assistante sociale. Le psychologue se montre attentif à un projet d’adoption qui «apparaît réfléchi [...] ; il ne s’agit pas, par exemple, d’une revendication», et apprécie que le couple «montre des capacités d’invention et d’adaptation». Augustin Bonrepaux n’a pas été convaincu. Il craint que l’enfant ne grandisse dans «un milieu familial indifférencié, sans repères quant au rôle de chaque membre du foyer» et s’abrite derrière «le principe de précaution». Le tribunal administratif de Toulouse a balayé ses réticences. Il a annulé le refus de l’élu fondé sur une «inexacte application» du droit. Désormais, Pierre devrait pouvoir obtenir son agrément.
«Modification». L’affaire, que Pierre et son compagnon ne voulaient pas médiatiser, fait d’autant plus mauvais effet qu’il implique une personnalité politique de gauche, alors que le PS s’est déclaré officiellement favorable à l’homoparentalité. «La société est prête à accepter que des couples homosexuels adoptent des enfants. La loi doit être modifiée», déclarait à l’automne le député socialiste Patrick Bloche.La dernière histoire, devenue emblématique des droits des homos, se passait dans le Jura, présidé par un élu de droite, qui avait refusé l’agrément à Emmanuelle B., une lesbienne, à cause de son orientation sexuelle.
Cela avait valu une condamnation de la France pour discrimination à la Cour européenne des droits de l’homme.Les juges avaient estimé que la candidate avait fait l’objet «d’une différence de traitement» basée sur sa sexualité. Selon eux, la France avait porté «atteinte au droit de mener une vie privée et familiale».
Le 10 novembre, le tribunal administratif de Besançon avait rappelé le conseil général du Jura à l’ordre en l’enjoignant d’accorder son agrément à Emmanuelle B. dans les quinze jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Une manière de décourager les élus hostiles à l’homoparentalité. Emmanuelle B., en couple depuis vingt ans et qui s’est battue pendant dix ans pour avoir le droit d’adopter, a finalement obtenu son agrément le 20 novembre.
LIBÉRATION (Charlotte Rotman) --- LE 3 FÉVRIER 2010