Neuf heures du matin au Parlement européen de Strasbourg. Une armée de femmes de ménage, la plupart d'origine maghrébine, quitte en file indienne le vaisseau amiral cylindrique et froid dédié à l'Europe. En sens inverse, les grosses limousines allemandes noires aux vitres fumées déposent les eurodéputés flanqués d'assistantes, attachés parlementaires, dans un ballet immuable et mécanique. À l'entrée, le visage radieux, l'eurodéputé ariégeois Michel Teychenné offre une poignée de main généreuse aux insulaires de la presse ariégeoise arrivés une demi-heure plus tôt par avion de Toulouse. « Bienvenue au Parlement », lance l'élu socialiste, qui déjà s'engouffre dans les entrailles de cette tour de Babel où quatre jours par mois l'Europe politique écrit à coups de règlements et de motions l'avenir des 27 États membres.
Dans ce lieu imposant de monarchie constitutionnelle, les émotions sont contrôlées. Déjà tout paraît étrange, sorte de songe formaté, aseptisé mais aux tons chauds, faussement exotique avec ces lianes de verdure disciplinées qui dégoulinent dans un espace confiné. L'architecture du lieu, celle d'un aéroport ultra-sophistiqué, est en adéquation avec les gens qui y travaillent. Une atmosphère proche de la science-fiction des années « 50 » de ces films d'anticipation. Et ce va-et-vient continuel de silhouettes comme façonnées dans l'éprouvette d'un généticien sans visage adepte du clonage. Des créatures à la Uma Thurman, parfaites et froides, impeccables et longues en jambes, escortant des eurodéputés impassibles, en costumes gris ou noir, le cheveu discipliné, le sourire rare et la démarche sûre. La puissance et le pouvoir déroulent leur codification dans une sorte de sobriété et de perfection désincarnée qui dissuade toute tentative de rapprochement. On évolue dans le séquençage du génome politique. Les élus empruntent de façon pavlovienne les escalators métalliques et vertigineux qui serpentent le vaste espace et rappellent étrangement la fameuse hélice de l'ADN. Les huissiers improbables, au physique de danseurs de revues parisiennes, le cheveu gominé, la queue-de-pie et les pompes funèbres détonnent un peu comme un anachronisme incongru.
Détonne enfin comme notre Ariégeois, Michel Teychenné, eurodéputé atypique et chaleureux, qui joue la proximité et évolue, il faut bien le reconnaître, comme un poisson dans l'eau. Deux mois à peine qu'il siège après avoir pris le train en marche en pleine présidence française et sarkosyste et déjà le voilà rapporteur législatif sur le droit des passagers maritimes. Lui, l'Ariégeois, élu de l'opposition appaméenne et qui plante avec fierté sur ses bureaux de Strasbourg et Bruxelles ses cartes de visite aux armoiries de la ville de Pamiers. Un Michel Teychenné qui la veille jouait les Fred Astaire avec l'ancien maire de Strasbourg, Catherine Trautmann, sur des airs de slogans cégétistes lors de la manif devant le Parlement sur le temps de travail en Europe.
Un Teychenné ubiquiste qui joue les pitres derrière une députée européenne interviewée sur la télé du Parlement tel un jeune de banlieue lorsqu'un envoyé de « TF 1 » fait un direct depuis le Stade de France. Michel Teychenné plus expert que les experts, euroenthousiaste au style inusité, résolument volontariste et réactif qui renvoie volontiers aux 22 les Europhobes tchèques et convertit les Eurotièdes suédois en deux temps trois mouvements. Un Michel Teycjenné qui déploie sa cognition bien huilée et disserte avec aisance sur la dérégulation du capitalisme devant la presse nationale et plaisante l'instant d'après en langue d'Oc avec un journaliste haut en couleur du Couserans. Mais le voilà déjà parti voter le projet de résolution législative sur l'aménagement du temps de travail, histoire d'entériner le rapport d'Alejandro Cercas.
Un rude combat finalement gagné contre la perfide Albion adepte de la dérégulation à 65 heures de travail par semaine. « C'est une victoire heureuse, qui marque un pas important en direction de l'Europe sociale. Socialistes et syndicalistes européens ont fait cause commune, signe qu'à Bruxelles et Strasbourg, la volonté d'Europe sociale est capable de s'exprimer avec force », commentera l'eurodéputé socialiste sur France Infos. Un paradoxe pour celui qui ne compte pas vraiment les heures à ramer en vue des prochaines élections européennes de juin prochain. Car Dieu sait si le rapporteur législatif sur le droit des passagers maritimes ambitionne de rester à la barre pour la prochaine mandature. Mais la météo marine annonce une grosse houle du côté des tractations à venir...
C'est certainement parce que l'on est à Bruxelles que les fauteuils du bar réservé aux élus du Parlement européen ressemblent à ceux des albums de Tintin. À un jet de la Grand Place, le coeur de l'Europe a des allures de bateau. Michel Teychenné, les bras sur l'accoudoir, sirote un jus de fruits (l'homme fait attention à l'alcool) et disserte avec ses homologues italiens des dernières directives en matière de réglementation agricole. Un sujet qu'il maîtrise. La conversation le change des Anglais qu'il a en face de lui dans le couloir, son bureau jouxtant celui des Travaillistes britanniques
À Bruxelles, tout le monde côtoie tout le monde. Dans la cage de verre gigantesque, les attachées parlementaires roumaines croisent les jeunes énarques frais émoulus des dernières promotions, et l'Ariégeois nage comme un poisson dans l'eau trouble des intrigues parlementaires. « Tout se décide à Bruxelles », affirme-t-il, convaincu. De transports maritimes en adoption de résolutions sur le conflit israélo-palestinien, rien de ce qui est de l'arcane des débats simultanément traduits dans les 22 langues de l'Europe ne lui échappe. Une bise à Kader Arif, une autre à Catherine Trautmann, une porte claquée (malencontreusement?) au nez de Jean-Marie Le Pen, un cocktail mondain pour l'eurorégion dans laquelle Midi-Pyrénées s'inscrit et un briefing entre deux ascenseurs avec Vincent Peillon sur le devenir du Parti Socialiste, et voilà que le rythme s'emballe. Ils sont loin les chevaux et les mules de Pailhès! Ils risquent d'attendre encore avant de revoir leur maître un peu plus que le week-end.
La Dépêche du Midi, Xavier Olmos (art. 1) et Jean-Christophe Thomas (art. 2), 24 janvier 2009